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La Seconde Guerre mondiale au jour le jour voilà un créneau original proposé par une nouvelle revue d'histoire....
« Le hasard fait bien les choses… » Un dicton que l’on pourrait, au prix de quelques aménagements, associer à la vie de Daniel Cordier : ce hasard, qui a conduit un jeune militant d’Action française à risquer sa vie aux côtés de Jean Moulin, ne doit pas faire oublier l’ardente volonté et le sentiment de révolte propres à notre homme. Raconté avec verve, honnêteté et modestie dans son livre Alias Caracalla, ce parcours initiatique a d’ores et déjà attiré plus de 15 000 lecteurs.
Avant de livrer ses mémoires, Daniel Cordier a brillamment embrassé la carrière de marchand d’art, mettant pudiquement sous cloche ses souvenirs et autres documents des années noires. À la fin des années 1970, face aux débats que suscitent l’action et la personne de Jean Moulin parmi quelques résistants émérites, Cordier se mue en historien rigoureux et publie pas moins de quatre ouvrages de référence consacrés à son célèbre « patron ».
Aujourd’hui âgé de 89 ans, l’ancien Camelot du roi, devenu homme de gauche, garde le regard pétillant de sa jeunesse et un vif désir d’engagement, à l’image de sa participation, en 2004, aux côtés d’illustres figures de la clandestinité, à « l’Appel des résistants aux jeunes générations », soucieux de préserver l’héritage du Conseil national de la Résistance.
Histoire(s) de la Dernière Guerre (HDG) : La forme d’Alias Caracalla, un journal « recomposé », est étonnante. Vos critiques sur la mémoire et la fiabilité des témoignages, telles que vous les formuliez dans le cadre de vos travaux sur Jean Moulin, semblaient mal s’accommoder d’un pareil choix.
Daniel Cordier (DC) : Une grande partie d’Alias Caracalla est fondée sur des archives, des télégrammes, des documents en ma possession. Mais ce livre, c’est quelque chose d’autre. Ce qui m’a demandé le plus gros effort, c’est la sincérité. Reconnaître ce que j’étais. J’étais d’Action française. Et pour moi, l’Action française, c’est aujourd’hui l’épouvante. Je ne voulais pas m’y mettre, pour une seule raison : à cause de mon antisémitisme. C’est quelque chose dont j’ai honte aujourd’hui. Et comme je n’ai rien fait pendant la guerre…
HDG : Expliquez-nous cela. Vous avez pris des risques considérables, notamment dans vos fonctions auprès de Moulin, frôlant l’arrestation à plusieurs reprises…
DC : Mais je ne me suis pas battu. J’étais un assez bon tireur, et je n’ai pas tiré un seul coup de feu. Je n’ai pas tué un Allemand.
HDG : C’est quelque chose qui vous a manqué ?
DC : Oui. Si c’était à refaire, je repartirais à Londres, mais je resterais avec mes camarades pour faire la guerre. En dépit de Jean Moulin. Ce n’était pas ce que je voulais…
HDG : Revenons à votre milieu familial. Vous apparteniez à une famille de tradition royaliste, d’Action française. Très jeune, vous vous engagez dans une activité politique.
DC : En fait, c’était l’activité de mon beau-père, membre de l’Action française (AF). Ma mère s’est remariée quand j’avais six ans. Et j’ai fait une fixation sur mon beau-père.
Mon père a fait des procès qu’il a finalement gagnés quand j’avais huit ans, pour me mettre pensionnaire à Saint-Elme, sur les bords du bassin d’Arcachon, c’est-à-dire à 200 kilomètres de ma mère. Elle n’avait le droit de venir me voir que tous les quinze jours, pour deux heures de visite, au parloir. Mon père avait, lui aussi, un droit de visite. Mais il n’est jamais venu. C’était un homme d’affaires, qui voyageait dans toute l’Europe. Ça a duré une dizaine d’années. Mon beau-père a pris beaucoup d’influence. Mon père, lui, était un homme d’un tout autre milieu que celui de ma mère. Ma mère, c’était la grande bourgeoisie bordelaise, et mon père, plutôt un « nouveau riche ». C’étaient deux univers tout à fait différents, mais celui qui me plaisait, c’était celui de ma mère et de mon beau-père. Et mon beau-père était royaliste, comme son père, qui était journaliste, et militant d’AF. À 14 ans, j’étais moi aussi militant, j’avais ma carte, que j’ai toujours. J’ai fondé un petit mouvement, à Bordeaux, le « Cercle Charles Maurras », où on vendait l’Action française. On préparait des réunions, on se rendait aux conférences de figures du mouvement, Darquier de Pellepoix4 par exemple.
HDG : En septembre 1939, la guerre éclate. Puis, vient l’offensive allemande de mai 1940 et la nomination du maréchal Pétain au gouvernement. Comment avezvous vécu ces événements ?
DC : J’étais très heureux, puisque Maurras avait dit que grâce à Pétain, on allait gagner. Et puis, le 17 juin, j’entends qu’il avait demandé les conditions d’armistice à l’ennemi. J’ai fondu en larmes, je suis monté dans ma chambre, j’ai pleuré, beaucoup. Et puis, je me suis redressé et j’ai dit : « Non, ce n’est pas possible. » Je suis parti vers la permanence de l’AF, où on se réunissait tous les jours pour vendre les journaux. Ça marchait très bien avec tous les réfugiés. On arrivait à vendre 300 journaux le dimanche. Les gens couchaient dans la rue, partout.
HDG : Très vite, vous rejetez le mythe Pétain.
DC : Oui, mais on ne savait pas quoi faire. La première idée, que j’ai proposée à mes camarades, c’était d’emprunter les bagnoles de nos parents, de prendre des fusils de chasse, et d’aller à la rencontre des Allemands, de tirer et de mourir. Et l’ensemble les a indignés. Ils n’avaient pas l’intention de mourir. Ils voulaient se battre. C’était très… romantique !
HDG : Qu’avez-vous décidé ensuite ?
DC : Il faut bien se remettre dans le contexte de cette époque : les journaux étaient contrôlés, il y avait entre 8 et 10 millions de gens sur les routes. C’était le chaos, la fin d’un pays. Mais parmi tout ce qu’on pouvait entendre, on disait que l’Armée française se regroupait en Afrique du Nord. C’est là que nous voulions aller.
HDG : Vous essayez alors de rassembler de jeunes volontaires, décidés à rejoindre Bayonne pour y gagner les colonies. Comment avez-vous procédé ?
DC : On a fait cette grande réunion, à la mairie de Pau. La préfecture avait interdit la réunion dans le local que nous avions prévu à cet effet. Après, nous sommes allés au monument aux morts. Nous étions environ une centaine de jeunes, avec des sacs. Je les ai emmenés au garage de mon beau-père [propriétaire des Transport palois réunis, NdlR] où il y avait des autocars. Il m’avait donné son accord, et quatre autocars se sont remplis. Et quand le premier est sorti du garage, il n’était pas loin de 10 heures du soir. Les militaires [français, NdlR], une dizaine, étaient sur la route, braquant leurs fusils-mitrailleurs sur nous. Ils nous ont donné l’ordre de rentrer, parce qu’il y avait eu un décret municipal, ce jour-là, interdisant de quitter Pau de 10 heures du soir à, je crois, 5 heures du matin. Nous étions désespérés. Mon beau-père nous a alors dit : « Je vais vous préparer autant d’autobus dont vous aurez besoin, pour demain matin, à 7 heures, horaire du car Pau-Bayonne. » Et le lendemain matin, nous étions 17.
HDG : Restait à trouver un navire sur lequel embarquer.
DC : On annonçait les Allemands à Bayonne. Mon beaupère a payé notre voyage sur un bateau, le Léopold II. Nous étions épuisés. On nous avait mis dans la cale, sur du maïs. C’était un bateau qui faisait la liaison entre l’Amérique du Sud et la Hollande. On a quitté le port, et peu après, les moteurs se sont arrêtés. Le lendemain matin, on a appris qu’il y avait eu une grande discussion entre le capitaine et des personnalités politiques belges, qui étaient à bord. Ils avaient demandé à rejoindre Londres, parce que leur gouvernement s’y était replié.
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